Le Graal selon... Bernard Reydellet

[...] On peut alors continuer notre investigation et interroger les différents récits pour en apprendre plus et tous confirment qu'il s'agirait d'une émeraude, pierre dont les teintes vertes ne sont pas sans rappeler les teintes de la renaissance de la nature au printemps, donc l'élan des forces vitales universelles.

D'autre part, beaucoup le représentent, le symbolisent par une étoile de David ou un hexagone, figure de base de la taille d'ailleurs couramment utilisée par les joailliers pour l'émeraude. Ceci est d'ailleurs loin d'être un hasard car la taille d'une pierre précieuse se fonde très souvent sur un élément géométrique qui découle de la structure cristalline du composé utilisé. Dans le cas de l'émeraude, la ressemblance est frappante car celle-ci est formée d'un silicate double d'Aluminium et de Béryllium cristallisant en réseau cristallin hexagonal, et la structure chimique des silicates est toujours à base de structure hexagonale.

Ainsi, cette figure géométrique hexagonale associée à l'Émeraude nous enseigne qu'une structuration présente au niveau atomique, se répercute immanquablement au niveau collectif : il nous incite donc peut-être à structurer notre activité humaine individuelle pour que puisse être structurée la vie collective de nos groupes. Mais il ne s'agit pas d'un nivellement ou tout élément est semblable à son voisin ; il s'agirait plus d'un puzzle où toutes les pièces différent les unes des autres mais s'adaptent parfaitement à leurs voisines !

Cultiver une certaine adaptation personnelle à un moule collectif structurant mais souple, voici la première leçon que l'on peut tirer de cette structure de pierre précieuse.

Ce véritable Graal de troisième génération nous apporte donc certains éléments nouveaux et nous serions amenés, si nous tenons à le relier aux deux précédents, à le qualifier de récipient de lumière. On comprend mieux alors l'aspect plus éthéré de son action, puisque sa capacité est d'une tout autre nature et qu'il agit par et sur la Lumière.

Mais l'Émeraude a une autre réputation encore plus étonnante. Beaucoup d'auteurs estiment que l'utilisation par Wolfram von ESCHENBACH de l'expression Pierre Précieuse lapsis exillis est probablement une erreur de traduction ou de transcription de l'auteur : il s'agirait plutôt d'une pierre tombée du Ciel. (lapis e coeli) Il est alors d'usage de relier cette lapis e coeli au célèbre et énigmatique épisode de la Bible tiré des prophéties d'Isaïe :

"14:12 Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l'Aurore? Comment as-tu été précipité à terre…"

Bien que cette interpellation soit théoriquement adressée au Roi de Babylone, beaucoup, pour des raisons assez obscures, la prétendent adressée en fait, à l'Ange déchu, Lucifer, porteur initial de la Lumière Divine. Dans sa chute, l'Émeraude qu'il portait à son front, symbole et signe de son dépôt, serait tombée sur le sol, en signe de déchéance, et des anges, non rebelles eux, l'auraient reprise et emportée au Ciel.

Curieuse scène que celle-ci, pour deux raisons au moins :

  1. Tout d'abord, on se retrouve presque en contexte polythéiste avec ce Lucifer, porteur de la Lumière, qui n'est pas sans nous faire songer à Prométhée, voleur du Feu des dieux. Lucifer avait-il volé la Lumière pour la donner aux hommes ?

  2. Ensuite parce qu'elle forme presque le négatif de la scène où Joseph d'Arimathie utilise, lui, le Graal historique pour recueillir le Sang du Sauveur qui s'épanche sur le sol, mais en signe de rachat du genre humain !

C'est à un mélange entre le Graal historique et ce Graal de troisième type que nous convie d'ailleurs Richard Wagner dans son récit du Graal tiré de Lohengrin :

Dans un pays lointain, inaccessible à vos pas, se trouve un château nommé "Montsalvat"; un temple lumineux se dresse en son milieu, si précieux que sur Terre, rien de tel n'est connu ; à l'intérieur, un vase doté d'un pouvoir miraculeux y est gardé comme le Saint des Saints ; pour être confié aux soins des plus purs parmi les hommes, il fut apporté par une troupe d'anges ; chaque année, du ciel s'approche une colombe, pour fortifier de nouveau sa vertu miraculeuse. "

Ce n'est plus l'Émeraude tombée du front de Lucifer qui est rapportée par les anges sur terre, mais bien la Coupe précieuse qui servit au Christ et à Joseph d'Arimathie, ainsi que l'auteur le confirmera sans réserve dans son PARSIFAL ultérieur ; par la même occasion, nous découvrons ici l'Opérateur qui donne son pouvoir magique au Graal : la Colombe nous suggère évidemment l'intervention de l'Esprit Saint. [...]

source: Une matière précieuse symboliquement forte (Bernard Reydellet)

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